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PAQUES A L'HEURE SU SAMEDI SAINT
Une belle médiation d'Anne Lécu
Pâques à l’heure du samedi saint
Publié le 11 avril 2020
« Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude » avons-nous lu ce matin à l’office des ténèbres du samedi saint. Nous voilà depuis des jours dans ce grand silence et cette grande solitude, et cela va durer. Autour de nous certains de nos proches sont morts et sont morts seuls. Nous n’étions pas là pour les veiller. Nous ne serons pas là pour les inhumer. Et lorsque ce soir dans la nuit, avec mes sœurs, nous chanterons « Alleluia », rien du samedi saint, de ce grand silence et de cette grande solitude ne sera effacé.
En temps ordinaire, les hommes et les femmes qui sont immobilisés, que ce soit dans un lit d’hôpital, dans un Ehpad ou en prison, vivent comme à part du monde mobile. Désormais, le commun des mortels, en tout cas ici, vit immobilisé. Je ne peux cesser de penser que ce faisant, nous touchons du doigt quelque chose de l’enfermement des immobilisés, à commencer par celui des détenus. Or, attaché sur une croix, fixé, c’est bien le monde des immobiles et des sidérés que le Christ rejoint. Jusqu’à devenir compagnon de ceux qui sont glacés dans la mort.
Mon espérance, depuis des lunes et des marées, c’est bien cela : Christ compagnon de tous, et compagnon du pire. Christ, victime par excellence, présent du côté des coupables, confondus avec les uns et les autres afin qu’aucun ne soit laissé seul. Christ, mis au tombeau comme chacun de nous le serons. Christ, enseveli, enveloppé dans les larmes du Père qui témoignent de la permanence de l’amour y compris dans la mort. Il n’y a pas d’autre victoire que celle-là. Et la résurrection commence quand les enfers sont visités par l’unique qui n’avait rien à y faire.
Demain encore nous serons fixés dans nos petite appartements (ou nos grandes maisons), comme les disciples enfermés malgré les visites régulières du Vivant. Demain encore nous serons seuls, dans ce vide liturgique que ne remplace aucune célébration retransmise virtuellement, y compris si elle est belle, car celui qui nous manque, c’est l’autre homme, notre frère, ou notre sœur, qui est le Christ en ce monde. Demain encore nous nous disputerons, car l’enfermement crée des tensions, et l’on sent bien que les disciples n’en furent pas dispensés. Demain encore nous pleurerons.
Célébrer la résurrection à l’heure du samedi saint, c’est enfin ne pas se raconter d’histoire. Se dire les yeux dans les yeux qu’il est difficile de croire, et que la foi de l’autre est celle qui me manque pour tenter de croire. Dans ce désir d’une présence qui viendrait enfin adoucir notre solitude, une voix de fin silence peut se laisser entendre si nous ne la recouvrons pas du bruit inutile que serait celui d’une joie prescrite, « car il faut bien se réjouir, n’est-ce pas, puisque c’est Pâques ». Peut-être, en ces jours, cette voix de fin silence, qui prononce en secret le nom de chacun de nous, comme un jardinier peut le faire de grand matin, peut-être cette voix viendra-t-elle dans la peur et le sanglot. Comme une ouverture du dedans, mystérieuse, offerte par Celui qui désenclôt le monde et vide les enfers.
Anne Lécu op
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